Raisons d’Etat
(The Good Shepherd)
Un film de Robert de Niro
Avec Matt Damon, Angelina Jolie, Robert de Niro, Keir Dullea, William Hurt, Alec Baldwin, John Turturro, Joe Pesci…
Il aura fallu du temps à Robert de Niro pour retourner derrière la caméra, après des années plutôt discrètes devant la caméra, avec peu de rôles intéressants.
Mais lorsque l’on voit le résultat, nous ne pouvons que féliciter De Niro d’avoir pris son temps !
The Good Shepherd raconte l’histoire de la création de la CIA, à travers le destin d’un de ses premiers agents sur le terrain, bien avant que l’agence n’existe vraiment, et qu’elle devienne un symbole dans le monde entier. Il ne s’agit pas ici d’héros, sauveurs du monde, mais juste de l’histoire de bons soldats, qui croient en certains idéaux, qui croient en leur pays et sont prêts à se sacrifier pour lui.
A travers le destin d’Edward Wilson, qui s’inspire indirectement de la vie de l’un des fondateurs de la CIA, Robert de Niro raconte l’histoire de l’Amérique entre 1930 et 1965, une période durant laquelle l’espionnage va naître et s’affirmer comme une pratique incontournable de la politique internationale, et du développement économique.
L’espionnage est tout sauf un monde beau, c’est un monde dur, sale, où il faut parfois sacrifier une âme pour un plus grand dessein, où obtenir des informations est un art qui fait appel parfois, souvent à la violence et au chantage les plus bas, où les alliances se font et se défont, où les rencontres secrètes sont elles aussi garantes parfois de la stabilité du monde.
De Niro signe un film magnifique, un classique instantané. Long (2h47) et beau à la fois, il décrypte la vie d’un jeune étudiant brillant, à une époque où l’Amérique fait face à la renaissance de l’URSS, qui a des envies hégémoniques comme elle. Cette envie de se partager le monde, d’en définir les gentils et les méchants, de s’en accaparer les ressources naturelles et de rebondir économiquement après les deux guerres mondiales.
Du cadre à la mise en scène, de la musique à l’interprétation, l’œuvre de De Niro touche à la perfection.
Un classique du cinéma, un film placide, qui prend le temps de poser son intrigue et d’en dénouer les liens, de décrire l’Histoire et son histoire, de faire vivre ses personnages, de leur écrire un présent, un passé mais sans apercevoir un futur certain.
Il y a dans cette œuvre une rage contrôlée, une dimension de haine, de passion, de sacrifice, de déni de ses émotions qui sont l’apanage des grands films.
Pour réussir un tel tour de force, il est vrai inattendu malgré le talent de De Niro, il fallait que le réalisateur s’entoure de comédiens capables de porter l’histoire à un très haut niveau. Et autant dire que son casting a été à la hauteur des espérances qu’il pouvait avoir en lançant son premier ‘Action’.
Son interprète principale, Matt Damon, excelle dans le rôle ambigu et complexe d’Edward Wilson. Le comédien, discret mais toujours impeccable, connaît une année faste en 2007 avec pas moins de trois films à l’affiche, dont Ocean’s Thirteen et surtout la suite très attendue des aventures de Jason Bourne, avec La Vengeance dans la Peau, toujours réalisée par Paul Greengrass.
Froid, mécanique comme Ulrich Mühe dans La Vie des Autres, dont il est quelque part le pendant américain, il livre une interprétation minimaliste mais au combien efficace. Une preuve s’il en est de son talent. A ses côtés, Angelina Jolie l’accompagne dans le temps en épouse « imposée » mais sans amour.
Les seconds rôles sont brillants, à commencer par John Turturro, assistant oh combien nécessaire de Wilson. Robert de Niro, William Hurt et Keir Dullea incarnent quant à eux une certaine aristocratie américaine, celle qui contrôlent les arcanes du pouvoir et vont considérablement influencer Wilson dans sa carrière. A noter enfin la prestation très courte mais remarquée de Joe Pesci, « victime » collatérale d’une guerre qui ne dit pas vraiment son nom.
Chaque prestation, aussi courte soit-elle, a son importance dans ce patchwork complexe et fascinant.
Très documenté, The Good Sheperd est une œuvre marquante, car elle parle de la CIA à ses débuts, de ce symbole américain, qui à l’époque n’en était qu’à ses balbutiements, toutefois loin d’être innocents et candides.
Un film incontournable à voir et revoir !
Arnaud Meunier
14/07/2007